RÉPONSES d’Emmanuelle de GENTILI
1ere secrétaire fédérale du PS de Haute Corse
1ere adjointe au maire de Bastia, Vice-présidente de l’agglomération de Bastia
À LA CONTRIBUTION THÉMATIQUE
Intitulée « Parce que socialistes, nous voulons l’égalité réelle pour la Corse »
81ème congrès du PS
La contribution qui circule dans la presse et qui provoque la stupéfaction dans l’île, est une contribution qui fait partie des quelques centaines qui seront discutées lors du congrès du PS du 13 au 15 juin 2025. Une contribution n’engage que celles et ceux qui la signent et non le Parti socialiste. Des contributions peuvent être contradictoires entre elles : elles sont un moyen d’amorcer le débat démocratique interne.
Les médias ont d’abord cru qu’il s’agissait de la position du Parti Socialiste, ce qui a créé un malaise et ensuite cela a donné du crédit aux propos de Gérald Darmanin qui avait déclaré en Corse le 27 février 2025 que les socialistes étaient « de toute façon défavorables aux avancées en faveur de plus d’autonomie ».
Si, comme l’indique cette contribution, quelques socialistes sont défavorables à une évolution du statut de la Corse, le Parti socialiste n’a pas exprimé de position à ce jour. En effet, une commission ad hoc dédiée à la réflexion sur l’avenir institutionnel de l’île a été mise en place depuis plusieurs mois et un point d’étape a été fait il y a une dizaine de jours.
Pour autant cette Motion a le mérite de permettre quelques clarifications. En effet, les peurs de certains, le poids du jacobinisme et les inquiétudes de principe ne doivent pas se mélanger aux mensonges et aux contres vérités. Nous devons en responsabilité aborder ce sujet avec sérénité et pragmatisme.
Il y a deux questions qui se posent :
– doit-on aller vers une nouvelle phase de l’autonomie pour améliorer un statut qui a démontré qu’il n’était pas efficient ?
– quel contenu pour la loi organique avec le transfert de compétences par voie législative et quels curseurs pour ceux-ci ?
Le débat est donc ouvert sur ces deux points.
La question législative ne doit pas nous enfermer dans l’immobilisme. Elle doit être un moyen de définir les sujets utiles, dans l’intérêt réciproque de la Collectivité de Corse et de l’État sous le contrôle des instances compétentes et selon un certain tempo.
Nous avons tous conscience qu’un changement de statut n’est pas une finalité en soi. Reste que les transformations institutionnelles sont des outils nécessaires. En effet, donner des compétences et ne pas pouvoir les adapter au territoire et à sa complexité (qui passe de 350 000 habitants à 800 000 en été ) rend la tâche difficile avec une population pauvre, concentrée dans les agglomérations et un intérieur déserté.
Les statuts sont des outils au service d’une vision, d’un projet de développement endémique durable et résilient. Ils doivent être au service des femmes et des hommes qui les mettront en œuvre.
Pour revenir à la motion, je note, et je le regrette, qu’elle agrège des éléments qui sont complètement faux et sur lesquels je voudrais revenir à travers quelques exemples.
Premier exemple
La motion prétend qu’il n’y a eu aucune évaluation des politiques publiques en Corse depuis la mission Glavany de 1993. C’est complètement FAUX.
C’est oublier le rapport d’octobre 2023 de la Cour des comptes sur le PEI (programme Exceptionnel d’Investissement) qui représente 1 954 M€, dont 835 M€ ont servi à l’amélioration des infrastructures de transport intérieurs et extérieurs de l’île et 467 M€ pour l’amélioration des réseaux d’eau et d’assainissement pour ne citer que les principaux postes .
Deuxième exemple
Les rédacteurs de la motion déclarent que « lorsque les Savoyards et les Niçois deviennent français, les Corses le sont déjà de plein droit depuis plus d’un siècle». Là encore c’est tout à fait FAUX.
Je les renvoie à un éminent socialiste, Michel Rocard premier ministre de François Mitterrand qui affirmait devant l’Assemblée nationale en 1989, que « s’agissant de la Corse le mal était profond et qu’il venait de loin, rappelant que la France a acheté les droits de suzeraineté à la République de Gênes mais il fallut une guerre pour les établir et la France y perdit d’avantage d’hommes que durant la guerre d’Algérie deux siècles plus tard ».
Troisième exemple
Après les troubles causés par le meurtre d’Yvan Colonna, alors incarcéré, la Macronie aurait reculé par peur. Là encore, c’est profondément INEXACT.
C’est exactement ce même reproche qui avait été fait à Lionel Jospin, encore Premier ministre, lorsqu’il avait décidé de l’ouverture du processus de Matignon après les attentats contre l’URSAFF et la DDE en 1999.
Ses propos devant l’Assemblée nationale le 1er mars 2000 ont le mérite de la clarté et il me suffit donc de les rapporter pour souligner la vacuité d’une telle affirmation : « En décembre dernier, j’ai pris une initiative politique parce que je pensais que la situation de blocage, la situation de tension dans laquelle nous étions dans l’île, était dangereuse et qu’il convenait de bouger. Comment ? J’ai pensé que la meilleure façon de le faire était de s’adresser aux élus de la Corse pour que, rassemblés tous, s’ils le voulaient, invités à Matignon, ils puissent faire part au Gouvernement de leurs préoccupations et surtout de leurs propositions. Le 13 décembre, j’ai reçu à Matignon l’ensemble des élus de la Corse au niveau de l’Assemblée de Corse et des parlementaires, et des présidents de conseil général. J’ai reçu tous les élus de Corse dont les nationalistes » tout en mentionnant que le « le Gouvernement condamnera et combattra cette violence toujours et en toute circonstance » ce qui fut réalisé trois mois plus tard, avec la mise sous écrous des auteurs du double attentat.
Les 1 954 M€ du PEI eux, furent bien mis à la disposition du développement économique de la Corse.
Quatrième exemple
Le dialogue a été entamé après le discours du Président de la République le 28 septembre 2023, qui actait le principe d’autonomie pour la Corse. Le processus qui en a résulté devrait se traduire par un transfert de compétences réglementaires et législatives à l’Assemblée de Corse, dans des domaines que définira la loi organique, c’est à dire celle qui sera élaborée par le Parlement.
La motion n’est pas d’accord sur ce fait et c’est son droit, mais ce que je reproche aux signataires c’est d’énoncer une fois de plus un mensonge en affirmant « l’autonomie législative permettrait à une collectivité d’avoir des lois différentes de sa voisine, sans contrôle du Parlement » alors que c’est ce même Parlement qui lui confèrerait lesdites compétences, et que l’application des éventuelles compétences législatives se ferait sous le contrôle du Conseil Constitutionnel ( CC )
Cinquième exemple
Les rédacteurs présentent la possibilité d’accorder l’autonomie comme une rupture du pacte Républicain. Là encore c’est FAUX.
Déjà le même reproche existait en 1982 lors du statut particulier de la Corse (déjà porté par les socialistes).
Les rédacteurs oublient également la décision n°82-138 DC du 25 février 1982 du Conseil constitutionnel qui précise la Constitution n’excluait nullement la création de catégories de collectivités territoriales qui ne comprendraient qu’une unité.
Et cela s’appliquera au futur statut de l’île comme cela s’applique déjà à d’autres collectivités françaises.
Sixième FAUX exemple sur le communautarisme
Parler de communautarisme institutionnel, c’est reprendre l’expression de Bruno Retailleau, ce qui est toujours regrettable pour des socialistes. Par ailleurs chacun comprend, que parler de communautarisme pour la Corse est surtout un moyen d’en évoquer d’autres …
Mais restons en Corse.
Toujours en 1982 l’article 1er du statut particulier disposait que « l’organisation de la région de Corse tenait compte des spécificités de cette région résultant, notamment, de sa géographie et de son histoire ». Cette rédaction avait été validée par le CC qui déclarait ainsi conforme à la Constitution l’« insularité et ses spécificités historiques » de la Corse.
Mitterrand a déclaré le 04/09/1981 lors d’un voyage officiel à Ajaccio en s’adressant aux Corses : « Soyez vous-mêmes » pour encourager le corses à affirmer leur identité, tout en restant dans le cadre républicain. Ce fut un tournant, une ouverture vis-à-vis des revendications culturelles et linguistiques corses, tout en appelant à l’unité nationale.
L’article 40 organisait lui, « la sauvegarde et la diffusion de la langue et de la culture corses », ce qui venait donc se rajouter la reconnaissance de la « spécificité culturelle de l’île » par le CC.
Le Conseil constitutionnel a statué sur ces dispositions et n’y a pas trouvé de forces centrifuges propres à éloigner la Corse de la République. Cela a dû, une fois de plus échapper aux rédacteurs de la motion.
Il n’est pas neutre également de rappeler que les indépendantistes du groupe Nazione ont voté contre le projet, considérant que le statut d’autonomie envisagé fermait la porte à la perspective d’indépendance.
Enfin, l’argument de droit comparé est important : l’autonomie est le droit commun pour toutes les grandes îles, notamment en Méditerranée, mais également au Portugal, pourtant État unitaire (exemple des Açores et de Madère) : ce point est d’ailleurs souligné dans une contribution du sénat publiée en 2000 sur « le statut des îles européennes ».
Et aucune de ces îles, autonome depuis des décennies, n’a évolué vers l’indépendance : le statut d’autonomie a, au contraire, renforcé la vie démocratique, et contribué au développement économique et social.
Dernier exemple
La Bretagne pourrait obtenir les mêmes statuts arguant de sa PÉNINSULARITÉ » et dépeçant ainsi l’unité Républicaine.
Faut-il vraiment répondre à ces arguties ? C’est oublier qu’il y a une différence non pas de degrés mais de nature entre une péninsule et une île. L’une a des frontières indéterminées, l’autre a des frontières établies par la mer qui l’entoure.
Enfin le CC a bien insisté sur la notion d’insularité, comme clé d’accès à un traitement spécifique. D’ailleurs c’est également la notion d’insularité qui justifie les statuts spécifiques confiés aux îles dans les Constitutions de nombreux États.
CONCLUSION
Il est malheureusement évident que les rédacteurs de la motion instrumentalisent la question corse au mépris de la réalité, et en rupture avec ce qui a constitué le fil conducteur du positionnement et de l’action du PS par rapport à la situation de la Corse depuis plus d’un demi-siècle, en privilégiant une position dogmatique.
En outre ils remettent en cause, en creux, l’action de Lionel Jospin, de Pierre Joxe, de Gaston Déferre et de François Mitterrand … ce qui est assez regrettable pour un texte écrit dans le cadre d’un congrès du Parti socialiste.
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